“Le féminisme ne sert plus à rien”, ou le mythe de Géraldine qui a eu le droit de vote, CQFD

Peut-être avez-vous l’impudence de consulter les commentaires postés sur les réseaux sociaux des médias ? Derrière chaque article, très vaguement engagé ou tout faiblement débat de société, on retrouve toujours les mêmes commentaires, “trollesque” ou parfois très premier degré : “idiotes de bobos socialopes féminazies, z’êtes parano”.

Estelle Rebollo
9 min readOct 4, 2018

A force de sans cesse apporter les mêmes réponses, j’ai décidé de condenser dans cet article l’argumentaire -assez basique, parce qu’il s’agit justement de réagir à une attaque peu évoluée.

Ainsi, j’aurai répondu une fois pour toutes à la relou double deluxe supplément mauvaise foi qui t’explique que :

“Il faut arrêter avec vos combats féministes ! MDR moi mon mec fait la vaisselle alors vous êtes parano, l’égalité est là on a plus besoin de se battre.”

Merci de ton intervention Géraldine, mais comment dire…?

Rappelons d’abord que les féministes ne nient pas les avancées extraordinaires que nous avons vécues. Toutefois, si je conçois totalement que les restes de sexisme insidieux paraissent moins spectaculaires qu’un combat frontal pour obtenir le droit à l’avortement, il n’en reste pas moins important de lutter contre un sexisme toujours bien vivant, injuste et grave.

Le sexisme est bel et bien mortel

1 femme meurt tous les 3 jours en France sous les coups de son mari (car 1 homme sur 10 bat sa femme — quand il arrive pourtant bien à se retenir de se battre avec ses amis hommes). C’est qu’il en reste quand même un paquet, des bons gros machos arriérés qui mériteraient un cours sur les droits humains fondamentaux. Ils ont sauté celui qui explique que l’intégrité physique, ça vaut aussi pour les femmes.
La femme est donc bercée dès sa plus tendre enfance par la crainte d’être la victime de certains hommes, du viol au meurtre, comme le rappelle l’actualité ou nos parents (“attention ma chérie, ne rentre pas seule et pas trop tard”).

À cause du design choisis pour les véhicules, les femmes sont 17% plus susceptibles de mourir lors d’un accident de voiture (et 47% plus susceptibles d’être sérieusement blessées) : les tests règlementaires sont pensés pour la morphologie des hommes.

De même, les recherches biomédicales et cliniques étant réalisées sur des cobayes mâles, les médicaments soignent mieux les hommes que les femmes. Et les préjugés sexistes (inconscients ou pas) font que, pour des patients qui se sont rendus à l’urgence en raison d’une douleur abdominale aiguë, les hommes ont attendu en moyenne 16 minutes de moins que les femmes avant de recevoir des analgésiques.

L’industrie de l’image, qui façonne notre vision, reste ultra stéréotypée

Le CSA nous rappelait récemment que 82 % des rôles d’experts sont tenus par des hommes dans les pubs, et 21,5 % seulement des interlocuteurs dans les journaux français sont des femmes.
L’humour semble apparemment lui aussi réservé aux hommes : ils représentent 51% des pubs humoristiques, contre 22% pour les femmes.
En 2016, 40% des films n’étaient pas foutus d’avoir ne serait-ce que deux personnages féminins dont : 1) on connait le prénom, 2) qui se parlent et 3) qui parlent d’autres choses que de mecs.
Tout cela n’est pas anodin, c’est même un cercle vicieux : en ne montrant dans les films, aux infos etc quasiment jamais les femmes en référentes, en héros, mais en les renvoyant à des vieux codes dépassés de potiches et des personnages secondaires, les femmes continuent de se dire inconsciemment que les rôles de pouvoir ou d’expertise ne sont pas faits pour elles. Se sentant peu crédibles, et étant vues par les patrons comme moins crédibles, elles y accèdent moins. Puis, on ne les montrera pas à ces postes, sous couvert de vouloir coller à la réalité. Prophétie auto-réalisatrice… Merci les clichés !

Depuis quelques années, parfois on a des héroïnes aussi ! Mais elles n’ont pas de budget armure et sont obligées de se battre à poil, les pauvres.

Le corps des femmes est constamment scruté et commenté, chosifié et possédé

Quelques exemples, bien qu’on pourrait s’y attarder pendant des heures : 1 femme sur 7 qui est agressée sexuellement en France, ce qui signifie tout de même qu’il reste un énorme pourcentage d’homme se disant “si je veux ton corps, mon envie prime sur ton consentement” ; pas étonnant dans ce cadre que les femmes aient peur de rentrer seule le soir (sacré handicap au quotidien, tout de même), ne puissent même pas laisser leur verre sans surveillance en soirée etc ;
L’injonction à être belle et souffrir pour cela : épilation “obligatoire” et systématique de tout le corps, on internalise un sentiment de honte vis-à-vis de notre corps naturel quand les femmes ne sont généralement pourtant pas les plus velues des deux, talons hauts qui défoncent ton pied et ta colonne, squats, réflexion “tu es négligée” si on ne se maquille pas quotidiennement etc ;
Les pubs qui utilisent des morceaux de femmes à poil pour vendre aussi bien un aspirateur que de la choucroute ;
Les agressions dans les lieux publics : voir un exhibitionniste, être suivie, insultée ou touchée par un inconnu etc. Des expériences symboliquement violentes, qui poussent les femmes à se méfier de l’espace public et recourir à des stratégies d’évitements, voire à être sans cesse sur le qui-vive (trajets, vêtements, accompagnement le soir, peur lorsqu’on vient nous aborder dans la rue etc) ;
Des débats qui ressurgissent régulièrement pour savoir si la femme peut décider de ce qu’elle fait de son utérus, ou si il appartient à l’état et qu’il lui est interdit d’avorter etc.

L’écart salarial, les tâches ménagères et la charge mentale restent le lot des femmes

On constate 24% d’écart salarial entre hommes et femmes en France. Même chez les plus diplômées : celles de Sciences Po sont par exemple payées 28 % de moins que leurs condisciples masculins.

Géraldine, chaque fin de mois.

Les femmes passent également 2 fois plus de temps à s’occuper des enfants et des tâches ménagères que les hommes. Du reste, au delà de la quantité de tâches effectuées, la charge mentale (soit la “direction de projets” si je puis dire) incombe encore trop souvent aux femmes (lisez cette excellente BD, si ça n’est pas déjà fait).

L’éducation diffère, pourtant sans fondement biologique

Côté jouets, les filles s’entrainent à être mamans et faire la cuisine dans un coin, pendant que les garçons sont encouragés à utiliser tout l’espace pour jouer au foot et construire des fusées, pas étonnant que cela se reporte sur l’ambition, les promesses d’avenir, la confiance en soi.
Des études montrent que les garçons d’un milieu aisé se pensent pour la plupart promis à un bel avenir social, quand les filles du même milieu sont pourtant un cran en dessous ;
Les filles sont — sciemment ou inconsciemment, poussées à davantage arrondir les angles, pour continuer de plaire, pour ne pas contrarier (là aussi, les études se rejoignent sur cette conclusion). On retrouvera ces comportements à l’âge adulte : les femmes sont souvent moins assertives par peur de vexer, blesser, voire d’être agressée.

Et si on arrêtait de faire croire aux garçons qu’ils ne seront pas papas autant que les filles seront mamans, de dire aux filles que c’est pas à elles de jouer avec des trucs funs ? Ces panneaux imposent une fausse vérité.

Quand c’est normal, voire amusant, pour un garçon d’être un peu turbulent, les petites filles sont quant à elles encouragées à être discrètes et douces. “Les gros mots c’est pas beau dans la bouche d’une fille”. Ailleurs si ?
Cela serait surprenant si une fille parlait fort sans lever la main au collège, dessinait des vagins au tableau quand le prof sortait de cours etc. Combien de dessins et tags d’organes masculins voit-on pourtant partout dans les collèges et lycées (voire dans la rue) ? 😁
Nous avons tous des exemples en tête : à la maternelle, on explique à Lucie que, si Enzo la frappe, c’est parce qu’il est secrètement amoureux d’elle ; plus tard on demande aux collégiennes de ne pas mettre de jupe, plutôt que d’expliquer aux collégiens que ça n’est pas normal d’agresser des filles. Banaliser et excuser un comportement toxique : quelle belle solution !

La société, les parents, les enseignants, l’entourage valident, certes peu consciemment, l’attitude des enfants, créant ainsi un double standard et engendrant des attitudes et comportements inconscients déséquilibrés.
En grandissant, tout cela est intégré et participe à reproduire les stéréotypes.

Les attentes clichées et doubles standards ont la dent dure

Quelques exemples de clichés sexistes qu’on entend et voit encore :
La femme qui serait plus méticuleuse quand il s’agit de ménage, comme si c’était biologique ;
La fameuse idée qu’elle “c’est un peu une salope”, quand lui, avec le même comportement, sera un tombeur qui “a trop de chance d’autant n*quer” ; D’ailleurs, dans les rapports hétérosexuels, l’orgasme féminin est trop souvent “annexe”, quand celui de l’homme est vu comme obligatoire et met généralement fin au rapport : la pénétration reste donc le but ultime VS des rapports considérés comme simplement “préliminaires” (les mots ont un sens), au détriment du fait que 80% des femmes ne peuvent avoir que des orgasmes clitoridiens ;
La femme doit être mignonne et pudique, quand c’est accepté d’être plus provoc’ pour un homme. Par exemple, sur YouTube, une femme qui parle de vulve est censurée, quand un homme peut parler de “bite” et “couilles” et continuer d’engranger des revenus pub’.

Même si cela tend à s’améliorer, les attentes sont également très élevées, et franchement absurdes, chez les femmes.
Être une mère ET une salope ;
Être forte et savoir porter son conjoint, tout en n’étant pas menaçante et restant douce ;
Ne pas sous-entendre que la femme aussi a besoin d’aller aux toilettes etc 😬 ;
Se maquiller, se looker etc ni trop (pute), ni trop peu (négligée) ;
Batailler avec la banque, par exemple, si on souhaite garder son nom de famille -son identité, après un mariage, dans une société où pourtant la femme n’appartient plus à son mari et a le droit d’avoir un compte bancaire ; Se faire à l’idée -biologiquement fausse et franchement insultante pour le masculin- que les hommes risquent d’être infidèles par nature, qu’il faut donc compenser en restant séduisante, disponible sexuellement et parfaitement épilée chaque jour de la relation etc.

Un dernier exemple de double standard : l’âge (phénomène a priori naturel et inévitable). S’il peut être une “crainte” pour tout le monde, les hommes souffrent tout de même moins du syndrome de “date de péremption” que les femmes. Les magazines, la télé et les voisins du 6ème nous rabâchent suffisamment qu’un homme grisonnant, c’est sexy, lorsqu’on voit en revanche qu’il n’est “fortement conseillé” qu’aux femmes actrices de mettre du botox.
Je ne dis pas que tous les hommes sont rassurés et persuadés qu’ils vont finir comme George Clooney, néanmoins les femmes subissent indéniablement plus de pression quand on leur explique joyeusement qu’une femme vieillissant se fera potentiellement tromper et larguer pour plus jeune.
Ce qui est, par ailleurs, franchement dévalorisant pour les mecs, qu’on fait passer pour des salops génétiques. Il suffit de regarder les films, supposés représenter la réalité mais la créant aussi quelque part, les écarts d’âges sont bien souvent dans le même sens. Vous avez dit injuste ?

Les hommes se prennent le revers de la médaille dans la tronche

On ne va pas nier que le patriarcat impacte également les hommes. Quand on dit à petit garçon qui pleure que c’est “un truc de fille”, c’est à la fois horripilant de sous-entendre que c’est honteux d’être une fille (une “femmelette”, quoi 😏), mais également très injuste de demander au garçon de refouler et nier ses émotions, ses sentiments. Surtout quand, des années plus tard, il pourra paradoxalement lui être reproché d’être trop dur, froid et distant, d’être peu emphatique etc. Il faut savoir.
On attend également d’eux un tas de clichés et injonctions contradictoires, construits en miroir : force, richesse, pouvoir, humour etc. Il faut prendre beaucoup de place, celle qu’on demande aux femmes de ne pas trop occuper. Beaucoup d’entre eux se sentiraient mieux sans la pression sociale de réussite qui leur incombe, sans certaines formes de masculinité et virilité extrême parfois toxiques dans laquelle ils ne se reconnaissent pas.
Un monde plus féministe soulagera donc (aussi) énormément les hommes.

Quand ta musculature n’a d’égal que le montant de ton compte en banque.

Se résoudre à l’idée que nous vivons dans un monde encore sexiste peut blesser. En tant que femme, on peut se sentir honteuse d’être parfois “victime” de discriminations, ce qui est certes peu valorisant socialement. En tant qu’homme, on peut se sentir en partie responsable ou simplement visé par la critique. Personne n’a envie de se sentir ni “victime”, ni “bourreau”. Mais ça n’est pas le cas, il n’y a rien de personnel. Ca n’est pas l’homme que le féminisme attaque, mais le patriarcat. Reconnaitre que le sexisme existe bel et bien, ça n’est pas non plus placer la femme en victime. Bien au contraire, c’est reconnaitre une injustice et demander un changement : c’est s’engager.
Plutôt que nier l’existence d’un système qui rend certes mal à l’aise, en prendre conscience est le premier pas vers le changement !

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